Entretien réalisé par vidéoconférence lors de la sortie de Kairo pour les Inrockuptibles. Ils ne l’avaient pas publié. Pas de place ( !)
On vient de découvrir Ring en France, donc, naturellement, on se demande si le projet de Kairo n’a pas été inspiré du succès de ce film.
Kiyoshi Kurosawa : Il est vrai qu’au Japon, Ring a connu un énorme succès. Des financements se sont débloqués pour Kairo grâce au succès de ce film. J’ai vu Ring, mais ai-je été influencé ou pas ? Je l’ignore. Je connais personnellement le réalisateur, Hideo Nakata, c’est un ami. Nous avions discuté de nos projets de films sur les fantômes, mais nous voulions les traiter chacun à notre façon.
Il y avait longtemps que vous n’aviez pas tourné de film de genre.
Kiyoshi Kurosawa : Oui, mais quand je tourne mes films, j’essaie toujours de réfléchir à ma position par rapport aux genres, même pour des films comme Charisma, qui est pour moi, d’une certaine façon, un film d’action, un policier et une comédie. Quel que soit le film que je fais, j’ai toujours cette réflexion sur les genres. Parmi les films que j’ai tournés récemment, Kairo est un des plus classiques. Pour moi, ce n’est pas une chose négative.
On a l’impression que vous avez été influencé par la peinture moderne et l’art contemporain…
Kiyoshi Kurosawa : Je ne suis pas un expert en art et je n’ai pas des références très précises, mais il est vrai que lors des réunions avec mon directeur artistique, j’apporte souvent des reproductions de tableaux pour faire comprendre ce que j’ai en tête. Pour la préparation de ce film, j’ai montré, entres autres, des tableaux de Francis Bacon.
Vos décors ont l’air abandonnés, dégradés. Les retravaillez-vous à la manière d’un peintre ?
Kiyoshi Kurosawa : Je ne suis pas sûr que je serais un peintre très talentueux, mais il est vrai que dans tous mes films, pas seulement dans Kairo, j’utilise des lieux abandonnés, un peu déserts, abîmés. La différence c’est que cette fois-ci j’avais un peu plus de budget et donc j’ai pu faire plus ce que je voulais que d’habitude en ajoutant des petits détails. Cette fois, j’ai aussi utilisé un peu d’effets numériques. Comparativement à ce qui se fait aux Etats Unis, je pense que c’est dérisoire. J’ai toujours voulu expérimenter ces nouvelles technologies pour connaître leurs possibilités et leurs limites. Et tant qu’on n’a pas essayé soi-même, on ne peut pas savoir.
Quelle est la signification de la scène où une inconnue se jette dans le vide ?
Kiyoshi Kurosawa : Je ne sais pas exactement. Ce que je peux vous dire c’est que quand les gens évoluent horizontalement dans le champ de la caméra, il n’y a pas de problème. On se sent relativement bien. Alors qu’une chute, donc un mouvement vertical, est quelque chose qui provoque un malaise. Donc, quand je veux provoquer une sensation de malaise, je montre une chute. Et le plus fort, en effet, c’est une personne qui tombe. Pour réaliser cette scène, nous avons demandé à une actrice de réellement sauter dans le vide avec la technique du saut à l’élastique. Mais on a tourné la scène en trois fois. On a filmé l’actrice sautant du haut de la tour, ensuite à mi-hauteur, et ensuite quand elle arrive au sol. Puis, avec la retouche numérique, on a assemblé les trois prises. Pour moi ce qui est important c’est d’avoir utilisé une vraie actrice. Ce n’est pas de la comédie, ce n’est pas un mannequin, ça n’a pas été dessiné avec la technique numérique. C’est réellement une femme qui joue la scène d’un suicide et se jette en bas. Pour moi, c’est très important. J’en ai beaucoup parlé avec mon équipe. On a évoqué plusieurs possibilités, comme utiliser un mannequin etc. Mais j’ai toujours été très ferme. Si je n’avais pas pu réaliser la scène dans des conditions réelles, je ne l’aurais pas tournée.
Vous êtes vous inspiré d’En quatrième vitesse de Robert Aldrich pour la fin apocalyptique ?
Kiyoshi Kurosawa : Je connais bien ce film et j’aime énormément Robert Aldrich, mais je n’y ai pas particulièrement pensé. Enfin, si vous me comparez à Aldrich, il n’y a pas de plus grand compliment pour moi. Je vais réfléchir à l’influence d’Aldrich dans mon travail. Pour moi c’est vraiment un très grand cinéaste. C’était un réalisateur classique, mais qui arrivait à dépasser les genres. J’aimerais faire des films dans le même esprit. J’adore ses films, même les derniers des années 70. Pour ce qui est de l’apocalypse, c’est un thème qui revient souvent dans mes films. On le trouve par exemple dans Charisma.
Vous avez dit que vos fins sont toujours optimistes. Mais ici c’est l’optimisme dans le deuil…
Kiyoshi Kurosawa : Je pense que c’est comme ça que vivent les humains, à Paris et à Tokyo. On vit sans être vraiment conscient de la mort, alors que la mort est très proche. Elle peut arriver à tout moment. Cette fois-ci, c’était vraiment une réflexion sur la mort, sur comment les gens doivent vivre en ayant conscience de la mort. Dans le film, il y a beaucoup de fantômes. Pour moi, les fantômes symbolisent la mort. Comme il n’est pas facile de montrer la mort à l’écran, j’ai montré des fantômes.
Les fantômes arrivent par le net. Est-ce à dire que le monde virtuel, que la technologie de la communication, c’est la mort ?
Kiyoshi Kurosawa : Pour moi, les nouveaux médias – tels que nous les utilisons en ce moment d’ailleurs – sont très pratiques, mais je ne pense pas qu’ils permettent une réelle communication entre les êtres humains, parce que la condition primordiale pour une communication réelle, c’est d’avoir la certitude que son interlocuteur existe bien. Et avec les nouveaux médias, on n’en est pas sûr. Je ne connais pas la mort, donc je ne peux pas savoir l’effet que ça produit, mais quand je pense à la mort, j’ai surtout une image en tête : je me vois tout seul dans un cercueil, complètement coupé du monde extérieur. Donc j’ai cette image d’un isolement éternel. Je trouve, c’est un avis personnel, que ça ressemble aux nouveaux médias, qui produisent cet isolement. On peut se retrouver complètement seul au monde avec Internet. Les nouveaux médias permettent aux gens d’être en contact avec le monde extérieur, mais si la connexion est coupée, cette personne se trouve complètement isolée. Elle est perdue.
Connaissez-vous (Serial experiments) Lain, une série animée japonaise qui traite de ce thème de l’isolement avec Internet ?
Kiyoshi Kurosawa : Le réalisateur et scénariste de cette série, Chiaki Konaka, est un des mes amis. C’est drôle parce que, en fait, l’idée de Kairo est née d’une discussion que j’ai eue avec lui il y a sept ou huit ans. A l’époque on ne parlait pas encore d’Internet, mais l’idée, le squelette du film était déjà là.
Comment expliquez-vous le caractère angoissant, le pessimisme du cinéma japonais ?
Kiyoshi Kurosawa : Il existe toutes sortes de films au Japon. Il existe aussi des films optimistes, mais ils ne sortent pas en France. Peut-être cela provient-il du fait que les festivals européens ont tendance à préférer des films japonais plutôt noirs. Peut-être trouve-t-on plus intéressants, en Europe, les réalisateurs qui parlent de leur pays de façon pessimiste, parce qu’ils sont plus profonds, plus intéressants que les autres. Il est vrai que j’ai une vision très pessimiste du Japon actuel. Ce qui est terrible, c’est qu’il n’y a aucune certitude. Le Japon est dans le chaos. On se trouve dans une impasse. Je ne vois pas d’issue…
Propos recueillis par Vincent Ostria ©
Entretien réalisé par vidéoconférence lors de la sortie de Kairo pour les Inrockuptibles. Ils ne l’avaient pas publié. Pas de place ( !)
On vient de découvrir Ring en France, donc, naturellement, on se demande si le projet de Kairo n’a pas été inspiré du succès de ce film.
Kiyoshi Kurosawa : Il est vrai qu’au Japon, Ring a connu un énorme succès. Des financements se sont débloqués pour Kairo grâce au succès de ce film. J’ai vu Ring, mais ai-je été influencé ou pas ? Je l’ignore. Je connais personnellement le réalisateur, Hideo Nakata, c’est un ami. Nous avions discuté de nos projets de films sur les fantômes, mais nous voulions les traiter chacun à notre façon.
Il y avait longtemps que vous n’aviez pas tourné de film de genre.
Kiyoshi Kurosawa : Oui, mais quand je tourne mes films, j’essaie toujours de réfléchir à ma position par rapport aux genres, même pour des films comme Charisma, qui est pour moi, d’une certaine façon, un film d’action, un policier et une comédie. Quel que soit le film que je fais, j’ai toujours cette réflexion sur les genres. Parmi les films que j’ai tournés récemment, Kairo est un des plus classiques. Pour moi, ce n’est pas une chose négative.
On a l’impression que vous avez été influencé par la peinture moderne et l’art contemporain…
Kiyoshi Kurosawa : Je ne suis pas un expert en art et je n’ai pas des références très précises, mais il est vrai que lors des réunions avec mon directeur artistique, j’apporte souvent des reproductions de tableaux pour faire comprendre ce que j’ai en tête. Pour la préparation de ce film, j’ai montré, entres autres, des tableaux de Francis Bacon.
Vos décors ont l’air abandonnés, dégradés. Les retravaillez-vous à la manière d’un peintre ?
Kiyoshi Kurosawa : Je ne suis pas sûr que je serais un peintre très talentueux, mais il est vrai que dans tous mes films, pas seulement dans Kairo, j’utilise des lieux abandonnés, un peu déserts, abîmés. La différence c’est que cette fois-ci j’avais un peu plus de budget et donc j’ai pu faire plus ce que je voulais que d’habitude en ajoutant des petits détails. Cette fois, j’ai aussi utilisé un peu d’effets numériques. Comparativement à ce qui se fait aux Etats Unis, je pense que c’est dérisoire. J’ai toujours voulu expérimenter ces nouvelles technologies pour connaître leurs possibilités et leurs limites. Et tant qu’on n’a pas essayé soi-même, on ne peut pas savoir.
Quelle est la signification de la scène où une inconnue se jette dans le vide ?
Kiyoshi Kurosawa : Je ne sais pas exactement. Ce que je peux vous dire c’est que quand les gens évoluent horizontalement dans le champ de la caméra, il n’y a pas de problème. On se sent relativement bien. Alors qu’une chute, donc un mouvement vertical, est quelque chose qui provoque un malaise. Donc, quand je veux provoquer une sensation de malaise, je montre une chute. Et le plus fort, en effet, c’est une personne qui tombe. Pour réaliser cette scène, nous avons demandé à une actrice de réellement sauter dans le vide avec la technique du saut à l’élastique. Mais on a tourné la scène en trois fois. On a filmé l’actrice sautant du haut de la tour, ensuite à mi-hauteur, et ensuite quand elle arrive au sol. Puis, avec la retouche numérique, on a assemblé les trois prises. Pour moi ce qui est important c’est d’avoir utilisé une vraie actrice. Ce n’est pas de la comédie, ce n’est pas un mannequin, ça n’a pas été dessiné avec la technique numérique. C’est réellement une femme qui joue la scène d’un suicide et se jette en bas. Pour moi, c’est très important. J’en ai beaucoup parlé avec mon équipe. On a évoqué plusieurs possibilités, comme utiliser un mannequin etc. Mais j’ai toujours été très ferme. Si je n’avais pas pu réaliser la scène dans des conditions réelles, je ne l’aurais pas tournée.
Vous êtes vous inspiré d’En quatrième vitesse de Robert Aldrich pour la fin apocalyptique ?
Kiyoshi Kurosawa : Je connais bien ce film et j’aime énormément Robert Aldrich, mais je n’y ai pas particulièrement pensé. Enfin, si vous me comparez à Aldrich, il n’y a pas de plus grand compliment pour moi. Je vais réfléchir à l’influence d’Aldrich dans mon travail. Pour moi c’est vraiment un très grand cinéaste. C’était un réalisateur classique, mais qui arrivait à dépasser les genres. J’aimerais faire des films dans le même esprit. J’adore ses films, même les derniers des années 70. Pour ce qui est de l’apocalypse, c’est un thème qui revient souvent dans mes films. On le trouve par exemple dans Charisma.
Vous avez dit que vos fins sont toujours optimistes. Mais ici c’est l’optimisme dans le deuil…
Kiyoshi Kurosawa : Je pense que c’est comme ça que vivent les humains, à Paris et à Tokyo. On vit sans être vraiment conscient de la mort, alors que la mort est très proche. Elle peut arriver à tout moment. Cette fois-ci, c’était vraiment une réflexion sur la mort, sur comment les gens doivent vivre en ayant conscience de la mort. Dans le film, il y a beaucoup de fantômes. Pour moi, les fantômes symbolisent la mort. Comme il n’est pas facile de montrer la mort à l’écran, j’ai montré des fantômes.
Les fantômes arrivent par le net. Est-ce à dire que le monde virtuel, que la technologie de la communication, c’est la mort ?
Kiyoshi Kurosawa : Pour moi, les nouveaux médias – tels que nous les utilisons en ce moment d’ailleurs – sont très pratiques, mais je ne pense pas qu’ils permettent une réelle communication entre les êtres humains, parce que la condition primordiale pour une communication réelle, c’est d’avoir la certitude que son interlocuteur existe bien. Et avec les nouveaux médias, on n’en est pas sûr. Je ne connais pas la mort, donc je ne peux pas savoir l’effet que ça produit, mais quand je pense à la mort, j’ai surtout une image en tête : je me vois tout seul dans un cercueil, complètement coupé du monde extérieur. Donc j’ai cette image d’un isolement éternel. Je trouve, c’est un avis personnel, que ça ressemble aux nouveaux médias, qui produisent cet isolement. On peut se retrouver complètement seul au monde avec Internet. Les nouveaux médias permettent aux gens d’être en contact avec le monde extérieur, mais si la connexion est coupée, cette personne se trouve complètement isolée. Elle est perdue.
Connaissez-vous (Serial experiments) Lain, une série animée japonaise qui traite de ce thème de l’isolement avec Internet ?
Kiyoshi Kurosawa : Le réalisateur et scénariste de cette série, Chiaki Konaka, est un des mes amis. C’est drôle parce que, en fait, l’idée de Kairo est née d’une discussion que j’ai eue avec lui il y a sept ou huit ans. A l’époque on ne parlait pas encore d’Internet, mais l’idée, le squelette du film était déjà là.
Comment expliquez-vous le caractère angoissant, le pessimisme du cinéma japonais ?
Kiyoshi Kurosawa : Il existe toutes sortes de films au Japon. Il existe aussi des films optimistes, mais ils ne sortent pas en France. Peut-être cela provient-il du fait que les festivals européens ont tendance à préférer des films japonais plutôt noirs. Peut-être trouve-t-on plus intéressants, en Europe, les réalisateurs qui parlent de leur pays de façon pessimiste, parce qu’ils sont plus profonds, plus intéressants que les autres. Il est vrai que j’ai une vision très pessimiste du Japon actuel. Ce qui est terrible, c’est qu’il n’y a aucune certitude. Le Japon est dans le chaos. On se trouve dans une impasse. Je ne vois pas d’issue…
Propos recueillis par Vincent Ostria ©